Rencontre avec Annick Suzor-Weiner, Professeur émérite à l'Université Paris-Saclay (France) et chargée de mission auprès de l’AUF. Mme Suzor-Weiner coordonne le Programme AIMES "Accueil et intégration des migrants dans l’enseignement supérieur" lancé en 2016 par l’AUF avec plusieurs partenaires publics et privés. Ce programme soutient les établissements francophones pour l'accueil d’étudiants en exil (réfugiés, sous protection ou demandeurs d’asile). L’objectif est de favoriser l’intégration de ces étudiants dans la société qui les accueille et de préparer leur avenir professionnel.
- Quels sont les principaux objectifs et les principales missions du programme AIMES ?
Devant les flux de migrants fuyant des situations tragiques dans leur pays, les sociétés qui les accueillent doivent s’organiser pour leur permettre de s’intégrer, au-delà de l’accueil d’urgence. Parmi ces personnes exilées, en demande d’asile ou ayant déjà obtenu une protection internationale, certaines désirent entreprendre ou reprendre des études, avec bien souvent un premier verrou, celui de la langue. Leur accueil requiert, outre des cours intensifs de « français langue étrangère » (FLE) pour les établissements francophones, une forte composante d’intégration culturelle et sociétale, et un suivi personnalisé.
- Quelle est la genèse du projet à l’AUF ?
Cet encadrement de qualité a un coût qui dépasse les capacités des centres universitaires de FLE. C’est pourquoi l’AUF a lancé, dès 2016, le programme AIMES qui fonctionne par appel annuel à projets, afin de soutenir les établissements engagés dans cet accueil, en France et dans plusieurs pays de la sphère francophone (à ce jour la Belgique, le Burundi et le Liban). Les projets s’adressent à des étudiants non (ou peu) francophones, auxquels il est proposé un parcours d’intégration comportant une formation intensive en français, accompagnée d’une introduction à la vie et à la culture françaises.
Les projets allient des acteurs enseignants, administratifs, étudiants et associatifs, et s’attachent au suivi des étudiants accueillis, dans une perspective d’intégration. Ils ont un effet structurant sur les établissements, car ils impliquent de nombreux services (relations internationales, langues, services sociaux…), les départements disciplinaires (pour l’immersion progressive des étudiants), et l’équipe présidentielle. Ces projets sont aussi une occasion de liens avec la communauté locale, via les associations d’accueil de migrants qui orientent vers l’université les jeunes exilés susceptibles de faire ou reprendre des études.
En 2017, les établissements français impliqués dans l’accueil des étudiants et universitaires en exil, en particulier ceux soutenus par le programme AIMES, se sont organisés dans le réseau MEnS (Migrants dans l’Enseignement supérieur). Les réunions et les échanges de ce réseau, qui rassemble une quarantaine d’universités et d’écoles, mais aussi des associations très engagées (Resome, UniR, Union des étudiants exilés…), aux côtés de la CPU (Conférence des Présidents d’Université), de l’AUF, d’ENIC-NARIC (Centre d’information français sur la reconnaissance académique des diplômes étrangers) et de l’ADCUEFE (Association des centres de FLE), permettent à tous ces acteurs de partager leur expérience et de mutualiser leurs forces. Le dialogue avec le Ministère de l’Enseignement supérieur , de la recherche et de l’innovation français a permis de faire habiliter une maquette-type de Diplôme « Passerelle », mise au point par l’ADCUEFE, ouvrant aux étudiants sous protection internationale l’accès aux bourses CROUS.
- Pourquoi est-il important de favoriser et faciliter l’accueil et l’intégration des étudiant·e·s en exil dans l’enseignement supérieur ?
En soutenant l’intégration dans l’enseignement supérieur d’étudiants en situation d’exil, l’AUF accompagne ses établissements membres dans leur mission de formation et d’intégration sociale, puis professionnelle. Depuis 2019 nous aidons aussi, avec un appel additionnel, les universités à coopérer de manière plus étroite avec les associations qui assurent le premier accueil des personnes migrantes. Il s’agit d’établir une chaîne permettant d’améliorer l’orientation des personnes accueillies en mesure de commencer ou reprendre des études, et leur apprentissage du français. La période est propice à un tel développement, qui répond à une urgence sociétale.
A terme, c’est le regard de notre société sur les personnes exilées que nous aiderons à faire évoluer, dès l’université où la camaraderie entre étudiants peut briser les a priori négatifs, jusqu’à l’insertion professionnelle dans des emplois qualifiés valorisants.
- Combien d’établissements d’enseignement supérieur et d’étudiant·e·s en exil ont pu bénéficier de ce programme depuis son lancement ?
En 2016, année de démarrage, le programme a soutenu 23 établissements, accueillant environ 1000 étudiants en exil. Depuis, chaque année, ce sont 40 établissements qui ont été soutenus en France, 4 en Belgique, 3 au Liban et 1 au Burundi. Il s’agit essentiellement d’universités, avec un bon maillage des territoires. La capacité d’accueil pour la France est montée à 1500 étudiants par an, pour plus de 3000 candidats, et pourrait augmenter avec plus de budget.
Au total, ce sont près de 6 000 étudiants en 4 ans (dont près de 40% de femmes) originaires de 54 pays, en majorité du Moyen-Orient (Syrie, Afghanistan, Irak) et du Soudan, que le programme a aidé à accueillir et intégrer. Les nationalités varient d’une année à l’autre, reflétant de nouvelles crises géopolitiques.
Hors Europe, le soutien aux universités libanaises à dominante francophone, qui accueillent un très grand nombre de jeunes déplacés de Syrie, a été rendu possible grâce à une importante contribution de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et aux relations de proximité de la Direction régionale de l’AUF au Moyen Orient.
Pour l’Afrique, notre action pilote au Burundi, avec l’Antenne de l’AUF à Bujumbura et le soutien de l’OIF, a permis à l’université de Ngozi d’accueillir 20 étudiants venant du camp de réfugiés voisin et est saluée par le Haut Comité aux Réfugiés (UNHCR), qui leur a attribué des bourses. L’UNHCR nous propose maintenant un partenariat plus large, autour des nombreux camps de réfugiés des pays francophones d’Afrique de l’Ouest et centrale.
- Le programme AIMES compte de nombreux partenaires publics et privés. Comment expliquez-vous cette forte mobilisation des acteurs publics et privés autour de cette cause ?
Une levée de fonds est effectuée chaque année pour compléter le budget alloué à ce programme par l’AUF et par les établissements eux-mêmes, qui restent les premiers contributeurs, en termes de logistique et d’enseignants. Qu’il s’agisse d’acteurs publics ou privés, le lien entre enseignement supérieur et migrants n’est pas immédiatement apparent, et il faut un solide argumentaire pour en démontrer la nécessité, et l’utilité comme facteur d’intégration.
Cette réticence levée, nos partenaires sont très fidèles, et généreux. Il s’agit des ministères français (surtout Enseignement Supérieur-DAEI et Intérieur-DAAEN, mais aussi Culture-DGLFLF et MEAE-DGM), de la Mairie de Paris, de l’ADCUEFE, des Fondations d’entreprise (Bouygues, Michelin, Orange, l’Oréal, Total). Nous sommes aussi accompagnés par la DIAIR (Délégation interministérielle pour l’accueil et l’intégration des réfugiés) qui veille à la synergie entre acteurs locaux, et par l’UNHCR-France, particulièrement durant la crise sanitaire.
- Quel message souhaitez-vous adresser à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés qui sera célébrée le 20 juin 2020 ?
Cette journée mondiale 2020 se place dans un contexte particulier, à la fois de pandémie et de prise de conscience des discriminations. Plus que jamais, c’est la solidarité qui s’impose, nationale et internationale. Les virus ne connaissent pas les frontières, les violences et la misère non plus, la solidarité doit faire de même.
C’est pour nous le message de cette journée, à laquelle se joignent les universités et les écoles : loin d’être isolées du monde, elles en sont au contraire la caisse de résonance, et doivent accompagner ses évolutions, comme ses drames. Ouvrir leurs portes à toute personne en situation d’exil dont elles peuvent espérer changer l’avenir est leur meilleur signal de solidarité.
Les partenaires du Programme AIMES
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