1- Vous êtes spécialisée en enseignement des langues et vous êtes également reconnue pour votre travail dans le champ du handicap. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au statut des personnes ayant un handicap?
J’ai toujours eu un énorme intérêt pour la problématique de la construction des identités et des altérités. Pendant mes études de deuxième et troisième cycle, j’ai approfondi cette question et j’ai exploré des outils théoriques me permettant de comprendre les dynamiques de cette construction. Ces dynamiques, qui sont perçues comme normales dans les sociétés humaines, peuvent se traduire par l’exclusion et le rejet de l’autre. Par la suite, en tant que professeure, j’ai entamé un programme de recherche pour analyser les mécanismes de représentation par lesquels la personne handicapée est construite comme un Autre radicalement différent. Il faut dire que mon intérêt pour le handicap s’enracine dans mon histoire personnelle, car j’ai un frère qui a la trisomie 21.
2- Les personnes ayant un handicap font face à des défis particuliers pour avoir accès aux services dont elles ont besoin. Quels sont les obstacles supplémentaires auxquels sont confrontés les francophones en situation minoritaire?
De manière générale, le manque des services est plus prononcé pour les francophones que pour les autres personnes handicapées. On peut penser par exemple aux francophones sourds.es ou aux personnes qui ont une déficience intellectuelle. Il n’y a pas de langue des signes francophone au Manitoba. Les francophones sourds.es doivent apprendre la langue des signes américaine. Un autre exemple : lorsqu’un enfant ayant une déficience intellectuelle naît dans une famille francophone, la famille doit faire le choix de la langue dans laquelle elle va élever l’enfant (ce choix ne s’impose pas aux familles anglophones). Souvent les familles sont contraintes de choisir l’anglais pour que l’enfant ait accès aux services. Donc cet enfant est dépossédé de sa langue maternelle. Je connais plusieurs familles dans cette situation.
3- Quelles solutions préconisez-vous pour vaincre les discriminations et l’exclusion basées sur le handicap en contexte francophone minoritaire?
Il faut encourager tous les enfants à s’éduquer dans des écoles d’immersion française. Plus les gens ont accès à l’éducation bilingue, plus ils et elles sont ouverts et plus ils et elles peuvent comprendre leurs concitoyens francophones, leurs besoins, leurs histoires, leurs aspirations. Aussi, il faudrait que tous les étudiants.es universitaires puissent faire un séjour dans d’autres universités canadiennes, un peu à l’image de ce qui se fait en Europe avec le programme Erasmus. Surtout, il serait formidable que tous les étudiants.es au Canada fassent un séjour d’au moins un semestre dans une université francophone.
4- Dans le cadre du programme Jumelages francophones dans les Amériques de l’AUF, vous avez réalisé un projet avec la professeure Lucia Farias de l’Universidad del Salvador (USAL) à Buenos Aires, en Argentine. Pouvez-vous nous parler des impacts de ce projet?
Le projet avait pour objectif de partager nos connaissances en matière d’inclusion des personnes handicapées, particulièrement dans les études universitaires, en vue de leur formation pour le monde du travail. Parmi les activités réalisées, la professeure Farias a effectué une mission d’une semaine dans mon université, en octobre 2022. Elle a rencontré plusieurs de mes collègues qui travaillent dans le domaine du handicap, des chercheurs et chercheuses comme moi ainsi que des professeur.e.s en travail social, en éducation et en psychologie. Elle a aussi visité des écoles pour observer quelles sont les stratégies d’inclusion en place dans notre province, ainsi qu’une école pour enfants autistes. À partir de ce projet, elle a créé un nouveau diplôme à l’USAL, la Diplomatura Universitaria Superior en Discapacidad Infanto Juvenil.