Parité à l’Université : rencontre avec Nathalie Bernardie-Tahir, Présidente de l’Université de Mascareignes (Maurice)

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Mme Nathalie Bernardie-Tahir est Présidente de l'Université des Mascareignes à Maurice. Elle a animé une table ronde sur la place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche dans le contexte francophone à l'occasion de l'Assemblée générale du "Réseau francophone des femmes responsables dans l’enseignement supérieur et la recherche" (RESUFF) organisée les 16 et 17 octobre à Paris (France). Nous l'avons rencontrée.

  •  Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Nathalie Bernardie-Tahir, agrégée et professeure de géographie à l’Université de Limoges. J’ai occupé le poste de vice-présidente chargée des relations internationales dans cette université pendant 5 ans avant de devenir présidente de l’Université des Mascareignes à Maurice (depuis 2017).

Je suis née dans un milieu modeste, où l’on ne faisait pas d’études supérieures (ma mère a été la première personne de la famille à décrocher le baccalauréat). Rien ne me prédestinait donc à une carrière universitaire et internationale. La problématique de l’auto-censure, qui imprègne insidieusement le parcours professionnel de la plupart des femmes aujourd’hui, est un frein que je connais bien et que j’ai mis du temps à combattre et à dépasser. Bonne élève au lycée et en classes préparatoires littéraires, tout a basculé pour moi lorsque je suis partie en Irlande pendant un an préparer ma maîtrise dans le cadre d’un échange Erasmus. Depuis, l’ouverture aux autres et au monde fait totalement partie de moi.

  • A l’occasion de l’Assemblée générale du Réseau francophone des femmes responsables dans l’enseignement supérieur et la recherche (RESUFF) vous avez animé une table ronde sur la « place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche dans le contexte francophone ».  Quels enseignements en avez-vous tirés auprès des différentes intervenantes ?

J’ai trouvé cette table-ronde extrêmement intéressante et instructive à bien des égards, car elle réunissait des femmes brillantes aux parcours très hétérogènes, inscrits dans des contextes sociaux, familiaux et culturels radicalement différents. J’ai été notamment très émue par le témoignage de Yolande Berton Ofouemé, qui occupe actuellement un très haut poste auprès du Président de la République du Congo, et dont l’histoire personnelle est édifiante : discriminée au sein de sa famille au profit de ses frères, mariée à 13 ans, elle a décidé envers et contre tout de reprendre des études, dans un parcours long et semé d’embûches, parvenant ainsi à s’extraire du destin tout tracé d’une femme dominée et sans voix.

En écoutant les unes et les autres, j’ai mesuré combien les causes des inégalités entre les hommes et les femmes sont multiples et complexes, et relèvent de problématiques sociales, culturelles et familiales souvent intriquées. Seule l’intersectionnalité, c’est-à-dire une approche décloisonnée des formes de domination et de discrimination d’ordre social, culturel ou politique, peut nous permettre de comprendre la force et la relative pérennité de ces inégalités de genre.

L’éducation est essentielle : lorsqu’une femme grandit dans un milieu favorisé, sans aucune discrimination de genre et bénéficiant de tous les capitaux – social, économique et culturel -, elle a toutes les chances de réussir comme pourrait le faire un homme. En revanche, si depuis sa tendre enfance elle baigne dans une culture de l’inégalité, que ce soit dans le cadre familial et/ou dans un contexte sociétal discriminant, alors ses perspectives de réussite restent limitées. Finalement, ce que ces témoignages confirment c’est que les inégalités entre les femmes et les hommes sont des inégalités « par le haut et par le bas », c’est-à-dire potentiellement construites par le haut – par des institutions, des lois et des politiques discriminatoires -, mais aussi par le bas c’est-à-dire produites par la lente sédimentation individuelle d’une culture sociale et familiale inégalitaire.

  • Quels sont à votre avis les leviers pour permettre aux femmes d’accéder aux postes à responsabilité dans l’enseignement supérieur ?

En partant du constat de la complexité et de la multiplicité des causes de l’inégalité entre les hommes et les femmes, il faut donc imaginer non pas un levier mais un ensemble de leviers qui, dans les établissements d’enseignement supérieurs puissent s’attaquer de manière cohérente et intégrée aux inégalités par le haut et par le bas.

Lutter contre les inégalités par le haut revient à mettre en place des politiques et des dispositifs visant à remédier à la faible visibilité et représentativité des femmes aux postes à responsabilité : parité dans les instances décisionnaires, dans les conseils, dans les équipes présidentielles, dans les conseils de laboratoire, etc ; prise en compte des congés maternité dans l’avancée des carrières ; une communication plus forte autour des réussites féminines, sur la lutte contre les discriminations de genre.

S’attaquer aux inégalités par le bas est sans doute un combat plus subtil et de longue haleine mais néanmoins déterminant qui peut s’incarner de différentes manières : créer des modules d’enseignement obligatoire pour sensibiliser les étudiants et les étudiantes sur les inégalités de genre (c’est là une des expressions de la responsabilité sociale des universités), mettre en place un système de mentorat qui permette aux femmes (mais également aux hommes) occupant des postes à responsabilité d’aider leurs collègues féminines en partageant avec elles leur expérience et en les aidant progressivement à dépasser leur auto-censure.

  • En quoi le RESUFF et la création d’un « Observatoire francophone du Genre à l’Université » peuvent contribuer à accélérer l’émergence de femmes à des postes de direction ?

Le fait même que le RESUFF existe est déjà une avancée dans la mise en visibilité de la problématique de l’inégalité des hommes et des femmes dans les postes à responsabilité à l’Université. Par ailleurs, la dimension internationale de ce réseau permet d’appréhender la diversité des situations selon les sociétés, les pays ou les types d’universités, et donc d’imaginer des stratégies qui soient à la fois génériques et spécifiques, intégrant l’hétérogénéité des problématiques.

Quant à l’observatoire francophone du genre, c’est à mon sens un outil indispensable d’aide à la décision, car on ne peut vraiment corriger les inégalités que si l’on sait les mesurer, en déterminer précisément la nature, l’ampleur, les secteurs dans lesquels elles s’expriment plus particulièrement. C’est un projet ambitieux, mais qui sera très bénéfique pour chacun des partenaires qui y prendra part, car l’observatoire sera non seulement une formidable base de données utile pour la mise en œuvre de stratégies éclairées, mais également un espace d’échanges d’expériences et de bonnes pratiques entre les universités.

  • En votre qualité de Présidente de l’Université des Mascareignes, quelles actions avez-vous pu mener en faveur de l’Égalité Femme/Homme ?

Dans le cadre de notre stratégie d’établissement centrée sur la responsabilité sociale, nous avons à cœur de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour chaque poste à responsabilité récemment ouvert, nous avons incité et favorisé les candidatures féminines. Nous avons également constaté que les postes administratifs les plus précaires (contrats de travail renouvelés sur une base mensuelle) étaient détenus par des femmes : nous y avons mis fin en titularisant toutes ces personnes. Au niveau des étudiants, nous cherchons également à favoriser les candidatures d’étudiantes pour des stages ou des poursuites d’études à l’étranger.

  • Avez-vous un message d’espoir pour les étudiantes, pourront-elles plus facilement accéder à des postes à responsabilité ?

Si j’avais un message à leur délivrer, ce serait celui-ci : oui c’est possible, oui vous serez à la hauteur, oui ces postes peuvent être pour vous, il ne faut pas avoir peur, mais c’est un long chemin à parcourir, il ne faut jamais renoncer. Je pense que l’histoire va dans notre sens, une prise de conscience émerge, certes à des degrés divers dans le monde, dans tous les domaines, politiques, économiques, culturels. Mais le combat contre des stéréotypes si profondément ancrés va prendre du temps. Il revient donc à chacun et chacune d’entre nous (car il faut définitivement associer les hommes à cette démarche) de poursuivre ce combat pour que l’accès à des postes à responsabilité dans le monde universitaire ne soit plus une question de genre, mais seulement de compétence.

Date de publication : 05/11/2019

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